Cela fait deux semaines qu'il est en vacances avec sa famille, dans ce camping familial du sud de la France. Ils viennent souvent ici, en alternance, un an en Bretagne, un an en Ardèche.

Sa mère a connu cet endroit alors que partie avec sa sœur sur les routes de l'exode, elle avait été, recueillie par la patronne du lieu, une grande dame digne, militante communiste de toujours, qui n'avait pas voulu laisser ces deux gamines de 18 ans errer sur les routes de France en cette sombre période.

Le lieu est agréable à vivre, le camping descend doucement vers la rivière en contrebas, bordée de rives rocheuses et de plages de galets comme on en trouve beaucoup dans cette région. La roche basaltique est percée d'anfractuosités formant ici et là des mares dans lesquelles pullulent les bestioles de toutes sorte.

La rivière en elle même est traversée par un vieux pont datant de l'époque gallo-romaine, fait de grosses pierres rondes, surnommé "la pontière". C'est souvent à cet endroit que les enfants construisent des mini barrages avec les grosses pierres du fond arrondies par l'érosion du courant. Le cours d'eau est paisible, hormis lorsque le barrage EDF situé à quelques kilomètres lâche son trop plein, et qu'il passe alors en grondant atteignant le tablier du pont.

Ici et là, des bancs de galets parsemés d'arbustes forment des ilots au milieu du courant, qui servent bien souvent de refuge aux amourettes adolescentes. Plus denses en amont, ils retiennent l'eau au point de former un bassin naturel permettant la baignade, et que les gens du coin appellent "la baumette"

L'endroit permet l'exploration aux gamins du camping, et en cette année 1972 les parents commencent à leur laisser la liberté d'aller et venir.Ils la mettent à profit pour quelques aventures telle que l'exploration du tunnel du canal d'irrigation passant sous la montagne. Cet endroit interdit, source de toutes les craintes, traverse sur quelques centaines de mètres pour déboucher sur un verger de pêchers qu'il vient hydrater de sa fraîcheur.

Les soirées d'été sont ponctuées par des fêtes, cinéma en plein air, ou bal, durant lesquels les usagers du camping se retrouvent pour la soirée. Ce soir, c'est le 14 juillet, et la famille a diné de bonne heure pour venir participer au traditionnel bal donné à cette date. Ses parents viennent aider la patronne à tenir la buvette, et lui demandent de faire attention à sa sœur de 12 ans, pourtant bien plus délurée que lui.

Le tube de l'été passe de temps en temps, une chanson de Michel Fugain, parlant d'une histoire d'amour sur la route de l'été...Les gens s'amusent, et il reste sur le bord à regarder les couples danser sans bien comprendre le plaisir qu'ils peuvent y trouver. Une adolescente aperçue à quelques reprises sur la plage de la Baumette s'approche pour lui parler. "Salut, je voudrais te présenter une copine qui voudrait faire ta connaissance, tu lui plais..."
 

Un peu indécis, il ne sait pas quoi répondre, à 14 ans, les filles ne présentent pas encore une préoccupation majeure, et la fille, selon ses parents à la réputation un peu sulfureuse de sortir avec des "grands".

Qu'importe, il acquiesce, sa sœur s'est éloignée discuter avec des copines de son âge, et il suit la demoiselle. "Voila, je te présente Carole"...

Le temps s'arrête. Il n'y a plus de flons flons, plus de danseurs, il n'y a plus que ce visage triangulaire, encadré de cheveux blonds cendrés, et ces yeux rieurs dans lesquels il se perd. Le coup à l'estomac lui coupe la respiration, c'est parti du milieu de la poitrine, et c'est venu serrer la gorge, empêchant toute parole. Le tout n'a duré que quelques secondes, mais d'une intensité rare, et il peine à retrouver ses esprits. "on danse ?"

Ce soir il a compris quel plaisir on pouvait trouver à danser dans les bras d'une fille, et cette fin de vacances eut le goût encore plus défendu des ilots de galets...

27/12/2009